Les glaçures aux cendres - partie I

Sous-produit du chauffage au bois, la cendre est un déchet domestique encore abondant à ce jour. J'avais déjà entendu dire qu'il était possible de créer des glaçures à partir de cendres, mais il s'agit d'une pratique qui est très peu répandue aujourd'hui. J'avais d'autant plus hâte d'en apprendre davantage sur le sujet! Comme mon père chauffe en partie sa maison au bois, il m'a gardé une grande chaudière de cendres, composées en majorité de merisier. J'avais tout ce dont j'avais besoin pour me lancer... J'ai vu dans ce rebut un substitut qui me permettrait d'amorcer un changement positif à court terme à ma production, être rapidement dans l'action. J'ai donc décidé d'amorcer mon projet de recherche avec ce matériau.

Cendres de bois à l'état brut (non lavées et non tamisées).

C'est en Chine qu'aurait été créées les premières pièces de céramiques émaillées aux cendres. Ces dernières dateraient de 1500 ans avant notre ère. En fait, il s'agirait d'un émaillage « accidentel » qui se produisait dans les fours aux bois, pendant les cuissons. Lorsque les fines particules de cendres en suspension viennent se coller aux pièces à haute température, soit à partir de 1170 degrés Celsius, une réaction chimique se produit entre les cendres, et la silice et l'alumine contenues dans les pièces, et crée une glaçure. C'est entre 1066 et 221 avant notre ère, toujours en Chine, que seraient nées les premières glaçures intégrant intentionnellement des cendres, appliquées avant cuisson. Ces dernières étaient un simple mélange de cendres et d'argile locale.

La simplicité dans la composition de ces premières glaçures aux cendres m'a immédiatement interpellé. Cependant, comme je travaille avec un four électrique, en oxydation, à moyenne température (plus ou moins de 1200 degrés Celsius), et que je considère même aller vers la basse température pour des raisons écologiques, il est évident que certains ajustements doivent être faits afin d'abaisser le point de fusion des glaçures. J'ai donc commencé par chercher des recettes de glaçures aux cendres pour cône 6 déjà existantes. Comme j'ai de nombreuses matières premières disponibles à même mon atelier, dont certaines que je n'utilise plus dans ma production régulière, j'y ai vu une occasion d'utiliser ces matières.

Les glaçures de type Nuka ont tout de suite attiré mon attention par leur opacité et leur blancheur : compte tenu de ma production actuelle, j'y ai vu une alternative intéressante. Traditionnellement, les glaçures de type Nuka sont conçues pour cuire à haute température, et contiennent simplement du feldspath (souvent du Cornwall Stone), de la cendre de bois et de la silice. L'opacité et la blancheur caractéristique de ces glaçures sont dues aux particules de silice non fusionnées restées en suspension. Les glaçures de type Nuka à cône 6 contiennent généralement du rutile ou du dioxyde de titane pour créer cette opacité, et une fritte comme fondant afin d'abaisser le point de fusion. Mais avant de se lancer dans les tests, il faut d'abord préparer ces fameuses cendres!

Le nettoyage des cendres
Ce qu'il faut savoir en premier lieu, c'est que la cendre est TRÈS caustique. Il faut absolument porter gants et masque lorsque qu'on la manipule. Même une fois mélangée à l'eau, une glaçure contenant des cendres ne devrait jamais être manipulée à mains nues.

On commence donc par faire un premier tamisage des cendres à l'aide d'un tamis de cuisine. Pour l'avoir testé avec des cendres mouillées (pour éviter de faire de la poussière) et des cendres sèches, je peux affirmer qu'il est beaucoup plus facile de faire le premier tamisage à sec afin de retirer les particules les plus grossières. Comme le principal point négatif de cette méthode est la poussière qu'elle génère, il est impératif de s'installer à l'extérieur, par une journée peu venteuse, et de porter masque, gants et lunettes de protection. Une fois le premier tamisage fait, on peut passer au lavage.

L'intérêt de nettoyer les cendres est de débarrasser ces dernières des surplus de sels solubles qu'elles contiennent, qui pourrait faire plomber les glaçures lorsque mélangées avec de l'eau, et/ou causer des défauts de glaçure sur les pièces. Le lavage des cendres est un processus simple mais qui peut quand même être assez long à cause des temps de repos de quelques jours qu'il faut observer entre chaque lavage.

Dans un premier temps, il s'agit d'utiliser une chaudière qu'on remplira au maximum à la moitié de cendres. On rempli ensuite le reste de la chaudière avec de l'eau, et on mélange bien. Une mousse brune se formera : c'est normal. On laisse ensuite reposer de 1 à 24 heures, soit le temps nécessaire pour que les cendres se déposent. Puis on enlève l'eau en prenant soin de ne pas déranger les cendres, et on la remplace par de la nouvelle eau, toujours dans les mêmes proportions. On mélange bien et on laisse reposer 2 ou 3 jours.

Petite parenthèse ici: j'avais lu avant de commencer mes expérimentations qu'il était possible de créer une lessive écologique à partir de cendres. La procédure consiste à mélanger une part de cendres de bois à 2 parts d'eau, mélanger et laisser reposer de 24 à 48 heures, puis à tamiser le tout pour récupérer le liquide: aussi simple que ça! Comme je devais déjà laver mes cendres, je me suis dit que j'allais conserver l'eau de mes deux premiers lavages pour tester cette fameuse lessive (compte tenu que mon ratio cendres/eau était de 1:1). Il y a certains bémols par contre, entre autres concernant son efficacité: si cela vous intéresse d'en savoir davantage sur le sujet, je vous laisse deux références au bas de mon article. Maintenant, revenons à nos moutons! ;)

Eau de trempage après le deuxième lavage.

De lavage en lavage, l'eau de décantation deviendra de plus en plus claire et moussera de moins en moins. L'idéal serait que l'eau deviennent claire et inodore, mais le nombre de lavages nécessaires peut varier en fonction de l'essence de bois et de la source de cendres. Pour ma part, j'ai commencé avec une petite quantité de cendres pour ma première série de tests et même après trois lavages, l'eau gardait une certaine coloration. J'ai décidé d'aller de l'avant malgré tout : un lavage excessif pourrait affecter la fusion des cendres, donc j'ai décidé de ne pas faire de zèle. Je me suis lancée dans le lavage d'une plus grande quantité de cendres dans un deuxième temps, et il m'a fallu sept lavages pour en arriver à une eau relativement claire (voir image ci-bas).

Une fois les cendres lavées, et l'excès d'eau retiré, il faut sécher les cendres. J'ai utilisé des bols biscuités, que j'ai déposé dans des assiettes émaillées (pour éviter les dégâts), que j'ai ensuite recouvert d'un linge. Comme j'avais une cuisson en cours, j'ai placé le tout dans ma salle des fours. Ne jamais faire sécher des cendres directement sur le four au risque de l'abîmer en cas de dégât! Dans mon cas, lors de mon premier essai, comme j'avais une petite quantité de cendres, ces dernières étaient sèches en moins de 24 heures.

La dernière étape est de tamiser les cendres sèches à travers un tamis de 60 à 80 mailles. Encore là, je me suis installée dehors avec masque, gants et lunettes de protection. J'ai utilisé un tamis 80 mailles et je ne l'ai pas regretté car même si j'utilise un tamis 80 mailles pour mes glaçures ensuite, certaines glaçures étaient plus longues à tamiser que mes glaçures régulières (sans cendres). J'imagine que le tamisage aurait été encore plus ardu si j'avais utilisé un tamis plus grossier pour les cendres...

Et voilà! Maintenant, une première série de tests de glaçures!

Les recettes
Voici les premières recettes que j'ai testé, avec la source pour chacune, ainsi que mes observations. Tous mes tests ont été faits sur un grès blanc, et cuits en oxydation à cône 6 (E2 DS : voir programme de cuisson plus bas).

De gauche à droite : Martell I (sans opacifiant), Martell I (+ 5% de rutile), Martell I (+5% de dioxide de titane, Nuka Like Ash Glaze, Val Cushing's Wood Ash, Michael Frasca's Wood Ash.

MARTELL NUKA 1
"The Complete Guide to Mid-Range Glazes", John Britt.

Cornwall Stone........31
Silice............................20
Cendres de bois.....36
Fritte 3134................13
Rutile............................5 (opt.)
Bentonite....................2

+90% eau, D.R. 1.44

Pour cette recette, j'ai eu envie de la tester sans rutile, avec 5% de rutile et avec 5% de dioxyde de titane à la place du rutile. J'ai visé une densité relative de 1.44 – 1.45 tel que recommandé pour les glaçures de type Nuka, mais je la trouvais quand même visqueuse, et très longue à tamiser (tamis 80 mailles).
La version sans opacifiant n'a pas coulé mais présente tout plein de bulles, comme si la glaçure bouillait (contrairement aux versions avec opacifiants). Texture entre le lustré et le satiné. Présente une certaine opacité. Couleur lavande.
Avec 5% de rutile, la glaçure coule, mais présente une belle uniformité, et opacité. Couleur lavande, texture lustrée.
Avec 5% de dioxyde de titane, la glaçure coule, mais est bien opaque, plus lustrée encore qu'avec 5% de rutile, et plus uniforme aussi.
J'ai vérifié la composition chimique de la glaçure sur Glazy.org, et la glaçure manquerait clairement d'alumine, ce qui explique les coulées. Le ration alumine/silice est très élevé. Aucune trace de tressaillage sur les 3 tests, donc potentiel intéressant.

Sur le site Glazy.org, on propose une formule chimique pour les cendres de bois en général (mixed wood ash). Cela peut servir de guide, mais compte tenu que la composition des cendres varie grandement, mieux vaut garder en tête que c'est seulement à titre indicatif. Vu la nature variable des cendres, y'a rien comme faire des tests pour apprendre à connaître sa matière ;)

NUKA LIKE ASH GLAZE
glazy.org

Minspar 200...............45
Cendres de bois........35
Silice..............................20
Dioxyde de titane......4
Bentonite......................2

+90% d'eau, D.R. 1.4

Ne coule pas, mais presque. Léger tressaillage. Iridescence. Belle opacité et effets intéressants. Oscille entre lustré et satiné (peut-être dû à une certaine dévitrification). Couleur lavande/mauve.

VAL CUSHING'S WOOD ASH
Ceramics Monthly, octobre 2016.

Cendres de bois................50
Gerstley borate..................20 (ai utilisé de la fritte 3195 à la place)
Carbonate de calcium.....12
EPK.......................................... 8
Silice.......................................10
*Ai ajouté 2% de bentonite

+110% d'eau, D.R. 1.36

Coule et tressaille. Couleur brun translucide. Effet veine classique des glaçures aux cendres. Lustrée et satinée à la fois, dépend de l'épaisseur (dévitrification par endroits).

MICHAEL FRASCA'S WOOD ASH
Ceramics Monthly, octobre 2016.

Carbonate de calcium....11,36
Cendres de bois...............54,56
Feldspath potassique.....11,36 (ai utilisé Custer)
Ball Clay...............................11,36 (ai utilisé Dark Bell)
Silice......................................11,36
*Ai ajouté 2% de bentonite

+100% eau, D.R. 1.36

Texture rugueuse, matte (sous-cuite). Opaque, couleur brune.

De gauche à droite, progression linéaire Ash One, + 0 à 10% de zircopax, intervalle de 2%.

ASH ONE
glazy.org

Cendres de bois..............25
Ball Clay.............................25
Syénite Néphéline.........25
Silice...................................25

+100% d'eau, D.R. 1.36

Glaçure déjà bien équilibrée selon la charte des formules limites Stull (Stull Chart) sur Glazy.org. J'avais envie de tester l'ajout de zircopax comme opacifiant, donc j'ai fait une progression linéaire de 0 à 10% à intervalles de 2%. On voit que la couleur sans zircopax est un brun très pâle, légèrement rosé, semi-translucide, mais plus on ajoute du zircopax, plus la glaçure devient rosée et opaque. La texture de la glaçure est satinée, douce au toucher. Cependant, la glaçure de base et avec 2% de zircopax présentent un très fin tressaillage. J'ai aussi remarqué que la glaçure semblait devenir plus lustrée en épaisseur.

Observations générales
J'ai été très étonnée par la couleur rose/lavande/mauve, même en l'absence d'opacifiant. En regardant attentivement, les tests de glaçures de couleur rose/mauve contiennent soit un opacifiant, soit un feldspath, soit les deux. Les glaçures contenant de la fritte, ou de la syénite néphéline sans opacifiant semblent tirer davantage vers un brun très pâle. C'est donc mon hypothèse pour le moment.

Programme de cuisson
Je suis partie du programme E2 de John Britt, et je l'ai légèrement modifié avec le temps, entre autres en ajoutant un nappage de 30 minutes à une température plus basse que la température finale (drop and soak) après avoir lu un article sur le sujet dans le Ceramics Monthly. C'est une façon d'aider à éviter les défauts de glaçures comme les trous d'épingle et les bulles qui fonctionne bien selon mon expérience.

^6 E2 DS

#....Rate.......T°C.........Hold
1.....83°C..........95°C.........1-3 heures
2.....222°C.......1094°C......0
3.....56°C......... 1205°C.....10 min 
4.....500°C........1148°C.....30 min 

Conclusion
La majorité des glaçures aux cendres ne se situent pas dans les limites recommandées si on se réfère à la Stull Chart. Il est possible qu'une glaçure qui soit en dehors des limites fonctionne bien et soit durable, cependant la Stull Chart permet de nous donner une idée de ce à quoi une glaçure devrait ressembler. Afin d'obtenir des effets particuliers, certaines glaçures contiennent très peu d'alumine, et ont par conséquence tendance à couler. Comme je désire créer des glaçures qui soient adaptées à la production utilitaire, je prévois effectuer quelques ajustements à certaines glaçures précédemment testées afin qu'elles respectent autant que possible les taux maximums recommandés de fondants, et ainsi que les limites d'alumine et de silice en fonction de la température de cuisson visée.

J'ai aussi été très surprise par les couleurs de mes tests : je dois avouer que je m'attendais davantage à obtenir des blancs que des roses...! Même quand on part de recettes trouvées dans les livres ou en ligne, même en suivant la recette à la lettre, il arrive souvent que les résultats obtenus divergent grandement des photos.

Mais surtout, cette expérience est la preuve du caractère unique des cendres : c'est un matériau d'une extrême variabilité! Tout dépendant du ou des végétaux dont sont composés les cendres, des essences d'arbre dans le cas des cendres de bois, de la composition du sol dans lesquels les arbres ou les végétaux ont poussé, la proportion d'écorce, et la quantité d'impuretés qui se sont accrochées au bois lors de son abattage et de son transport, toutes ces raisons et plus encore vont influencer la composition chimique des cendres, donc potentiellement la couleur, la texture, l'opacité de la glaçure, et j'en passe...

La céramique comportant déjà une large part d'imprévisibilité, j'ai longtemps cherché à atteindre un maximum de stabilité, concentré mes efforts à prévenir et éviter les surprises autant que possible... Et au final, même en travaillant avec des recettes de glaçures et des pâtes qui m'offraient en apparence une relative constance, j'ai tout de même rencontré nombre de problèmes à travers les années, certains dont je n'ai jamais pu identifier la cause... Travailler avec un matériau aussi variable que la cendre, c'est un peu ma façon de commencer apprivoiser, et même à apprécier la nature imprévisible de mon médium.

RÉFÉRENCES

Les glaçures aux cendres:

Ash Glazes, Phil Rogers

Pioneer Pottery, Michael Cardew

The Complete Guide to Mid-Range Glazes, John Britt.

Chimie des glaçures:

Mastering Cone 6 Glazes, John Hesselberth & Ron Roy

Science for Potters, Linda Bloomfield

Technologie des matériaux céramiques, Mimi Belleau

Lessive aux cendres:

Remue-Ménage: produits ménagers maison, Marie Beaupré, Mariane Gaudreau et Audrey Woods.

Laver (à ses risques et périls) son linge avec des cendres, segment de l'émission Moteur de recherche du 3 mars 2022.

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